Une chute mémorable


Textes romanesques / lundi, mai 21st, 2018

J’ai un souvenir précis du mélange des sentiments que j’ai pu éprouver le jour de mes sept ans. A tel point que lorsque je me remets dans les mêmes conditions, je parviens à ressentir avec la même intensité les différentes émotions qui m’ont assaillies ce jour-là.

 

Depuis tout petit, je voue une passion sans bornes à la moto, et pour mon anniversaire, cette année-là, j’en avais demandé une  » pour faire comme papa ». En effet, du plus loin que je me souvienne, mon père m’a toujours emmené avec lui sur sa moto de cross. Bien calé devant lui sur son énorme engin, nous sillonnions les petits sentiers des collines, à la découverte de la nature. En grandissant, j’eus envie de tenir moi-même le guidon du monstre de mes rêves pour être encore un peu plus « comme papa ».  Ainsi, tout naturellement, pour mes sept ans, mon père voulut m’offrir une Yamaha 65 au grand désespoir de maman, qui me voyait déjà plâtré de la tête au pied allongé sur un lit d’hôpital.

Arriva enfin le grand jour tant attendu ! Je savais plus ou moins que mon rêve allait devenir réalité et que papa avait obtenu gain de cause auprès de maman pour acheter ce que je désirais. Après avoir déballé les autres cadeaux à la hâte car une seule chose m’intéressait vraiment, et après avoir reçu maintes explications, conseils et recommandations de la part de l’assistance présente (les parents, grands parents, oncles, tantes et cousins…), je pus enfin démarrer MA MOTO !

Quel bruit délicieux pour mes oreilles ! Quelle sensation merveilleuse ! Quelle fierté et quelle puissance j’éprouvais alors ! Oui, moi, Matt, Sept ans, j’allais pouvoir être sur le même pied d’égalité que mon père, j’allais pouvoir me mesurer à lui et partager les mêmes émotions avec lui !

Tout le cortège de la famille m’accompagna dans le champ en face notre maison pour me voir évoluer sur ma machine. C’était merveilleux, le temps était magnifique : même le soleil était au rendez-vous et brillait haut et fort en ce jour du vingt huit novembre pour m’admirer et m’encourager dans mes « exploits de sport mécanique ».

J’effectuais plusieurs fois la traversée du champ, tout doucement d’abord pour faire connaissance avec ma « nouvelle amie », puis de plus en plus vite au fur et à mesure que je prenais confiance en moi et en elle. J’entendais les femmes de ma famille crier :

– « ralentis, tu vas tomber ! »

Tandis que les hommes hurlaient :

– « Ouais, très bien, penche toi un peu plus en avant… ! »

 

Au bout d’une dizaine d’aller-retour, je commençais à fatiguer mais hors de question de m’arrêter devant cette foule qui m’acclamait, Je ressentais enfin la toute puissance des vainqueurs. Mais, évidemment, arriva ce qui devait arriver…

 

Entraîné par mon trop plein de confiance et par ma victoire d’avoir si vite dompté mon bolide, je lâchais le guidon et je levais les bras au ciel comme le font les vainqueurs à l’arrivée de la course. Bien mal m’en prit ! Je sentis immédiatement la roue avant faire des zigzags. Je fus dans l’impossibilité de redresser le cap et de retrouver la stabilité nécessaire, et par la même occasion, ma belle moto ne m’écoutant plus voulut se coucher en m’entraînant avec elle à terre. Je ne sais quelle a été ma plus grande souffrance : était-ce de m’être fait mal aux genoux ou d’être à terre devant tous ces spectateurs affolés ? Malgré les larmes qui me montaient aux yeux, malgré cette cruelle défaite et malgré la trahison de ma nouvelle amie, et tel un sportif voulant aller jusqu’au bout de ses rêves pour ne pas se décevoir lui-même et les autres qui comptent sur lui, je me relevais péniblement mais sans faillir, je relevais également ma moto et commençais à la pousser au moment où les autres arrivaient en courant du fond du champ, complètement affolés.

Quelle honte ! Moi, qui avais su prendre en main en quelques minutes cette dangereuse machine, j’étais réduit au rang des perdants en quelques secondes ! Quel échec !

Prenant sur moi, je ravalais mes larmes, et refusais l’aide de mon père pour pousser cette traîtresse, je refusais également que ma mère m’ausculta jusqu’à l’arrivée, c’est-à-dire le garage où je pus enfin poser l’engin.

 

Une seule phrase de mon père suffit à me réconcilier avec mon plus beau jour d’anniversaire, ma moto adorée et le cross :

– « fils, tu as été parfait ! Je n’aurais pas fait mieux…même dans la chute ! »

 

Et d’un coup, toutes les émotions négatives s’envolèrent pour laisser la place au sentiment d’appartenir enfin au monde des gens à deux roues et à de merveilleux souvenirs…

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