Au lendemain de la seconde guerre mondiale, mon grand-père, qui s’appelait Ludovic, était encore un jeune garçon d’une quinzaine d’années. Les évènements qui s’étaient produits pendant les conflits de 1939 – 1945 l’avaient rendu très peureux et méfiant envers tout et tous. Aussi, pour l’endurcir, le père de Ludovic décida d’envoyer son fils seul à la montagne, pour faire pâturer les moutons durant tout l’été. Mon grand-père fut, dans un premier temps, tracassé et nerveux d’apprendre la décision paternelle ; mais en y réfléchissant, il espérait que ce séjour dans ces vastes étendues, seul et livré à lui même, allait lui redonner confiance en lui…
Par un beau matin des premiers jours de juin, Ludovic, entreprit donc, rempli d’une certaine émotion, le long périple jusqu’à la montagne de Lure en compagnie de ses moutons, de ses deux chiens, de son âne…et d’un fusil pour défendre son troupeau des attaques de loups et d’éventuels voleurs d’agneaux. Il arriva avec un mélange de soulagement et d’anxiété à la cabane complètement isolée où il allait devoir passer les trois mois d’été. Que ferait-il si des individus mal intentionnés venaient s’en prendre à lui ? Et si on lui faisait du mal ? Et si on le tuait ? Qui le saurait ?
Les premiers jours se déroulèrent tranquillement au rythme de la nature. Ludovic se sentait de plus en plus apaisé et s’émerveillait devant ces beaux paysages. Il reprenait confiance en lui malgré le fait qu’il ne se séparait jamais de son fusil pour dormir.
Mais un soir, cette belle quiétude fut anéantie. Mon grand-père n’arrivait pas à trouver le sommeil car le vent, qui hurlait au travers de la cheminée, le rendait nerveux et le tenait réveillé.
Tout à coup, il entendit un premier coup sourd « boum ». Quelqu’un tapait contre la lourde porte de la cabane. Ludovic tressaillit et s’enfonça un peu plus sous ses couvertures. Quelques instants après, deux autres coups, « boum, boum, » troublèrent le silence. Prenant son courage à deux mains, il s’assit sur le lit et cria :
– » Qui est là ? Qu’est-ce que vous voulez ? »
Le silence lui répondit. Ludovic tremblait de tous ses membres et serrait le fusil contre lui. Et s’ils défonçaient la porte pour l’assassiner ? Pourquoi ils tambourinaient ainsi ? Pourquoi ne prenaient-ils pas les agneaux sans lui faire du mal ?
La troisième fois, les coups redoublèrent « boumboumboumboum ». Alors, le jeune homme, sans réfléchir, pris de panique, terrorisé, mis le canon du fusil dans l’interstice de la fenêtre et tira…une fois…deux fois…
Il guetta le moindre bruit dans une attente interminable toute la nuit mais plus rien ne se fit entendre. Au petit matin, le jeune berger, fiévreux et tourmenté, s’obligea avec un immense effort, à entrouvrir la porte afin de voir ce qui lui restait de son troupeau. Ce qu’il vit lui glaça le sang !
Son âne gisait au sol avec deux trous sanguinolents dans le corps, un en pleine tête et l’autre dans le poitrail. Pendant la nuit, Anatole avait réussi à se détacher et était venu chercher son maître dans l’espoir d’avoir un peu de compagnie et de grignoter un quignon de pain.
Depuis ce jour, mon grand-père n’a jamais plus pu regarder un âne en face !!!